Pensionante del SARACENI, Actif vers 1610-1620
Melon, pastèque et fruits sur un entablement, Toile.
Melon, watermelon and fruits on an entablature, canvas, by the Pensionante del Saraceni
56 x 72 cm (22,05 x 28,35 in.)
Provenance : Acquis par le père des actuelles propriétaires avant 1980 dans le Sud de la France ; - - Collection particulière, Paris
Expositions : 'Natura morta italiana, tra Cinquecento e Settecento', Munich, Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, 6 décembre - 2002 - 23 février 2003, p. 156-157 (notice par Mina Gregori), repr. en couverture du catalogue - 'La natura morta italiana, da Caravaggio al Settecento', Florence, Palazzo Strozzi, 26 juin- 12 octobre 2003, p. 162-163, repr. (notice par Mina Gregori).
Bibliographie : 'Caravaggio e l'Europa : il movimento caravaggesco internazionale da Caravaggio a Mattia Preti', cat. exp., Milan, Palazzo Reale et Vienne, Liechtenstein Museum, 2005-2006, mentionné p. 501 - Maria Giulia Aurigemma, " Il pensionante del Saraceni ", in A. Zuccari (dir.), 'I Caravageschi, percosi e protagonisti', Milan, 2010, t. II, p. 553-562 - - Yuri Primarosa, in M. G. Aurigemma (dir.), cat. exp. 'Carlo Saraceni (1579-1620). Un Veneziano tra Roma e l'Europa', Rome, Museo di Palazzo Venezia, 2013-2014, p. 359, mentionné dans la notice du n° 84 - - Michele Nicolaci, " Il Pensionante del Saraceni. Storiografia di una enigma caravaggesco ", in M. G. Aurigemma (dir.), cat. exp. 'Carlo Saraceni (1579-1620). Un Veneziano tra Roma e l'Europa', Rome, Museo di Palazzo Venezia, 2013-2014, p. 373 - - Yuri Primarosa, in cat. exp. 'L'Origine della Natura Morta in Italia, Caravaggio e il Maestro di Hardford', Rome, galerie Borghèse, p. 234, mentionné dans la notice du n° 18 - - Michele Nicolaci, in cat. exp. 'Caravage à Rome, amis et ennemis', Paris, musée Jacquemart-André, 2018-2019, p. 170, mentionné dans la notice du n° 28 - - Carole Blumenfeld, "Le Pensionante del Saraceni enfin identifié ?", in 'The Art Newspaper', n° 49, février 2023, p. 12.
Commentaire : Le nom de convention de Pensionante de Saraceni a été créé par Roberto Longhi en 1943 dans son article " Ultimi studi su Caravaggio e la sua cerchia ", publié dans la revue 'Proporzioni'1, regroupant alors un corpus de quatre œuvres caravagesques qui se distinguent toutes par une qualité picturale très élevée, et qui proposent une synthèse entre le réalisme du Caravage, au clair-obscur très marqué, et une ambiance lumineuse douce et délicate influencée par Carlo Saraceni. Longhi le désigne comme "Pensionnaire"2 et non comme "élève" ou "suiveur" pour souligner l'indépendance de ce peintre par rapport à Saraceni. Il le juge plus avancé que ce dernier dans son interprétation de la leçon de Caravage, Saraceni n'ayant pas développé le genre de la nature morte. Bien que Longhi à l'époque ait proposé l'hypothèse qu'il pourrait s'agir d'un peintre français (en citant Jean Le Clerc)3, sa nationalité ainsi que son nom restent inconnus à ce jour4. Il donne au Pensionante la 'Négation de Saint Pierre' (Rome, Pinacothèque vaticane), le 'Vendeur de poulet' du musée du Prado à Madrid, le 'Cuisinier' de la galerie Corsini de Florence et le 'Vendeur de fruits' du Detroit Institute of Arts (fig.1). .
À ce premier groupe, les critiques ont ensuite rattaché une dizaine de tableaux5 dont la 'Nature morte avec fruits et carafe' de la National Gallery de Washington6 (fig.2), qui lui est rendue par Fritz Baumgart en 1954 7. Considérée comme l'un des chefs-d'œuvre des débuts de l'histoire de la nature morte occidentale, celle-ci présente des similitudes évidentes avec notre toile, variation sur le même thème, puisque la poire, la figue, la grappe de raisins se retrouvent disposées différemment sur les deux peintures. Les dimensions sont les mêmes, au point que l'on peut s'interroger : étaient-elles réunies en paire à l'origine ? On y découvre les mêmes passages lumineux nacrés typiques du peintre (cf. M. Gregori, 'op. cit.') ainsi que le melon et la pastèque fendus avec la pulpe bien visible et encore humide, et le rendu du volume des pommes comparables à ceux de la partie basse du 'Vendeur' de Detroit. On les rapprochera aussi des natures mortes sur la table et l'étagère du 'Cuisinier' de la Galerie Corsini (fig. 3). La nôtre partage avec ce dernier la même invention géniale du clou isolé sur le mur dont l'ombre permet de creuser l'espace.
La place précoce et originale de notre œuvre dans l'histoire de la nature morte en Italie. Le choix des fruits, ou la carafe dans le tableau de Washington, le réalisme avec lequel les objets sont interprétés, l'utilisation de fonds neutres, la sobriété et l'équilibre des dispositions, situent notre peintre comme connaissant bien les premières œuvres du Caravage, telles que le 'Bacchus' de la Galerie des Offices de Florence, le 'Garçon avec un panier de fruits' de la Galerie Borghèse de Rome et la célèbre nature morte de la pinacothèque Ambrosienne à Milan (fig. 4).
Datée vers 1597-1600, cette 'Corbeille de fruits', peinte par Caravage comme un trompe-l'œil pour le cardinal Federico Borromeo8, joue un rôle révolutionnaire dans la création de la nature morte autonome9. Autour de 1600, le genre se diffuse dans toute l'Europe, au Nord (Jan Brueghel, Georg Flegel), en Lombardie (Fede Galizia, Panfilio Nuovolone), en Espagne (Sanchez-Cotán)… Giovanni Pietro Bellori nous apprend que les natures mortes du Caravage ont connu un tel succès qu'elles ont été imitées très rapidement, ce qui est confirmé par les inventaires des collections romaines de la première et de la deuxième décennie du XVIIe siècle.
Ses disciples s'inspirent des œuvres de jeunesse des premières années romaines de Caravage où des fruits, des fleurs, sont baignés dans une lumière claire et tamisée, décrites avec un réalisme saisissant ('Le garçon à la corbeille de fruits', 'Conversion de la Madeleine' à Detroit, 'La Madeleine pénitente', Doria Pamphilj), avant que son style ne devienne plus sombre et ténébreux dans la seconde partie de sa carrière. Parmi eux, on compte des peintres d'histoire tels que Cecco del Caravaggio et Bartolomeo Manfredi, dont on peut citer par exemple la nature morte sur l'entablement en bas de l''Allégorie des Quatre Saisons' (Dayton Art Institute), et d'autres dans la production desquels ce genre occupe une part importante : Maître de la nature morte de Hartford, Cavarozzi, Gobbo des Carracci, Maître de la nature morte Acquavella10.
Contrairement à ces artistes chez lesquels les divers éléments sont entassés ou accumulés et la luminosité très contrastée, ici la lumière diffuse semble celle d'un intérieur. Notre peintre adoucit très légèrement l'aspect cru des œuvres de Caravage. Là où ce dernier décrit des fruits gâtés, fanés ou des feuilles déchirées, les trous de vers dans les pommes, le Pensionante del Saraceni montre la tranche de la pomme à peine brunie, la poire juste un peu tachée à sa base..
Sur un entablement de pierre, les fruits de la fin de l'été se détachent sur le fond neutre. La construction ordonnée et stable est modulée par de nombreux détails courbes tels que la vrille ondulée du pédoncule de la tige de la vigne, en arabesque au centre de la toile, la pastèque crénelée, sa chair rose émaillée de grains noirs, la découpe des feuilles, ou le pépin de raisin posé à droite. Autant de détails qui donnent un certain désordre, une présence forte, évoquant la vie réelle. Les volumes sont modelés subtilement, éclairés d'une touche de lumière blanche, légèrement plus en pâte, en forme de grains de riz (notamment sur la poire).. Les natures mortes du Pensionante del Saraceni se caractérisent par un savant équilibre des volumes géométriques où chaque élément est séparé, et non lié aux autres comme chez Bartolomeo Cavarozzi. Habilement structurées selon le rythme des pleins et des vides, le caractère abstrait des volumes leur confère une modernité qui n'est pas sans évoquer Cézanne (fig. 5).
1. R. Longhi, " Ultimi studi sul caravaggio e la sua cerchia ", in 'Proporzioni', I, 1943, p. 5-63
2. Au sens de pensionnaire indépendant au sein de l'atelier. Le terme ne signifie pas qu'il loge chez Saraceni.
3. Giovanni Baglione a écrit sur la francophilie de Carlo Saraceni, le décrivant comme voulant toujours s'habiller comme un Français, bien qu'il ne soit jamais allé en France, ni n'ait jamais prononcé un seul mot de Français
4. Chiara Marin a tenté de l'identifier à l'artiste espagnol Juan Bautista Maino qui était à Rome entre 1604 et 1611.
5. Citons, parmi ses tableaux de figures à sujet religieux, les deux versions du 'Reniement de saint Pierre' (Douai, musée de la Chartreuse et Rome, Pinacothèque Vaticane), le 'Christ parmi les docteurs' aux musées du Capitole à Rome et deux 'Saint Jérôme', l'un au musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa, le second en collection particulière.
6. Attribuée par Roberto Longhi au Caravage lui-même.
7. F. Baumgart, " Die Caravaggio-Forschung seit 1943 ", in ‚Zeitschrift für Kunstgeschichte', 1954, t.17, p. 201, note 28.
8. Il l'a probablement commandée lors de son séjour à Rome, voir M. C. Terzaghi, " Tracce per la Canestra e la natura morta al tempo di Caravaggio", in A. Zuccari (dir.), 'Il giovane Caravaggio "sine ira et studio"', Rome, 2018, p. 109-121.
9. 'L'Assiette en argent avec pêches et feuilles de vigne' de Giovanni Ambrogio Figino serait légèrement antérieure, vers 1591-1594.
10. Parfois identifié à Cavarozzi.
Estimation
1 500 000 € - 2 000 000 €
Vente demain à 17h00