Charles FILIGER, peintre français (1863-1928) correspondance de 14 lettres autographes signées au peintre Roderic O’Conor. De 1896 à 1904. 31 p. _ in-8. Papier jauni et fragilisé avec sur certaines de ces lettres, des petits manques. Exceptionnelle correspondance qu’il conviendrait de citer dans son intégralité révélant l’homme, son travail, ses crises de mysticisme, ses tourments et son regard sur ses confrères, les peintres de l’école de Pont-Aven.Décembre 1896. Il a laissé passer du temps à lui écrire, mais depuis son dernier voyage à Paris, j’ai toujours eu mille tracas et je n’ai pu me tourner à la fois de tous côtés. Je viens à vous presque en dernier et ce n’est pas bien. Je l’avoue, mais les choses s’en vont ainsi par le monde : les amis viennent toujours en dernier . Il a eu des nouvelles par Jourdan, qui vous a visité à Rochefort. Et notre artiste de Malestroit que devient-il ? Je lui ai écrit dernièrement mais je pense qu’il n’a pas dû être des plus enchantés de ma lettre ? Que voulez-vous. Je n’espère plus rien après le peu que j’ai et si mes pinceaux ne me valaient quelque argent, je ne sais trop ce que je ferais ici. Depuis longtemps je suis à bout de courage et je ne me vois pas retournant dans le monde à aucun prix et à quoi sert de parler… . Hameau de Kersulé, près du Pouldu, mardi août 1898. Il le suppose toujours à Pont-Aven et lui avoue qu’il a gardé un simple mais profond souvenir depuis qu’il l’a vu. Je vis en dehors de tout : Je passe mes jours à travailler un peu- à être malade (c’est si bon de souffrir)…. et surtout de souffrir en secret et les longues années ne me sont pas plus que des minutes d’éternité.. Un mot si vous voulez bien vous déranger n’est-ce-pas ? Vous verrez ou reverrez le ''Jugement Dernier'' que je suis à achever enfin. Je tiens toujours à votre disposition le carton de Gauguin qui autrefois sut vous plaire. Envoyez-moi une petite étude de vous en paysage comme vous en faisiez il y a quelques années - avec du bleu, du blanc, du rouge, car cela n’est pas pour me déplaire… . Sans date, probablement vers octobre/novembre 1900. Lan March, Pouldu. Il souhaite savoir si Filiger est toujours à Pont-Aven et l’informe de son déménagement. J’habite maintenant tout au bord de la côte, dans une maison isolée. J’ai eu bien des ennuis moraux surtout depuis que je vous ai vu et vous serez peut-être étonné du changement qui s’est fait en moi . Il a eu des nouvelles assez tristes de Seguin, mais cela ne vous intéresse peut-être guère en ce moment - à cette heure ?... Miss Causland a quitté le Pouldu fin septembre et je ne sais ce qu’elle est devenue depuis lors… [Katherine Mac Causland, peintre, dite Miss Mac (1859-1928), vint en France avec de nombreux peintres irlandais, elle sera souvent à Pont-Aven et rencontrera le peintre américain, Guy Maynard (1856-1936) qui deviendra son compagnon]. Il interroge O’Conor. Vous êtes peut-être plus heureux que moi ?... Votre toujours franche façon d’agir à mon égard + malgré une certaine raideur d’outre Manche + voulue plutôt que sentie m’autorise à vous écrire, puisque je suis moi-même en cas de vous faire plaisir, si vos intentions sont demeurées les mêmes, qu’autrefois… .Lan March, Pouldu, Décembre 1900. Sa rupture avec son mécène, le peintre et collectionneur Antoine de La Rochefoucauld. Du nouveau est survenu dans mon existence annonce Filiger, en lui donnant des explications. J’étais très ennuyé quand je vous ai écrit la dernière fois et je n’avais pas bien la tête à moi. Vous avez dû le remarquer au décousu de ma lettre. Et voilà l’histoire : je m’étais mis en tête de vous envoyer ''le portrait de jeune marin'' qui sut vous plaire autrefois…Et comme première raison, à cette détermination je dois vous avouer que j’étais dans une véritable gêne dans le moment de ma lettre et puis aujourd’hui je suis devenu indifférent à l’égard de beaucoup de choses… Mais ce qui m’a fait changer d’avis c’est une circonstance imprévue, arrivée pendant que j’étais à espérer de vos nouvelles. Une rupture à l’amiable avec mon mécène, Mr de L. R. à vous cela ne peut rien faire n’est ce pas que je sois délicat ou non à l’endroit de mon ancien bienfaiteur, mais moi je crois devoir agir autrement et comme le portrait en question est connu de lui et que je n’ai rien de mieux à lui offrir pour l’instant, je vais toujours lui parler de la chose, et je verrai s’il accepte oui ou non. Quand je saurai sa réponse, je pourrai agir librement, et nous causerons alors, de mes petites affaires… Il lui recommande de taire ces explications, et surtout pas à notre ami Seguin, car je ne le crois pas très discret en amitié, non pas par méchanceté, mais par vanité ou par bêtise, qualités chères à ces bons Français !... Quant à moi, je n’ai jamais vu Seguin parlant de moi sérieusement ni me comprenant absolument bien qu’il se figure qu’il m’a trouvé et révélé au monde révélé. Révélé….peut-être mais je vous dirai, que je goûte fort peu pour ma part ces sortes de révélations, toujours indiscrètes, et faussement interprétées et qui nuisent plutôt qu’autre chose…et vous connaissez un peu, pour les avoir vus, la bande ''des jeunes maîtres'' qui sont comme une couronne de clarté au front vierge de ce vingtième siècle à son aurore ! J’ai nommé, Ibels, Seruzier, (sic) Denis, Bonnard et Pécuchet, [faisant une allusion à Bouvard et Pécuchet] et toute la cohorte sacrée du symbolisme naissant, tous amis de Seguin et si vous permettez j’ajouterai très humblement mon nom mais simplement pour vous faire plaisir… . Pouldu, mardi novembre 1903. Il a eu des nouvelles de Seguin qui veut revoir le Pouldu car il est malade. Là où il est, ou du moins il s’ennuie. En m’écrivant il me demande quel est le prix de la pension chez Portier ? Ne savait-il pas ? Depuis l’an passé déjà, je ne paie que 100 fr sans vin bien entendu. Comme seul luxe aujourd’hui est encore de fumer... . A cette éventualité il espère que sa venue ne sera pas un obstacle à sa tranquillité, l’ayant tout de même prévenu et lui ayant rappelé Quels gens étaient les Portier, gens sans pitié auprès desquels il ne trouverait grâce en rien… . Il interroge O’Conor pour savoir si c’est lui qui lui avait indiqué la présence de Filiger au Pouldu. Et votre grand ami Ladislas [pour le peintre polonais Wladyslaw Slevonski] a filé d’ici à l’anglaise . Il ne l’a pas revu, ni personne du Pouldu. Ce que ceux de Portier ont fait une tête en m’annonçant la chose. C’est quelque chose… J’aime à croire que vous avez été mieux traité pour votre part ? Vous ignorez que je devais habiter la villa pendant son absence. Il m’avait proposé l’affaire. Mais je n’ai pas songé un seul instant de couper dans ce dernier panneau….. Depuis que je vous ai vu, je n’ai cessé de travailler à l’achèvement de mon dernier Calvaire et j’y trouve plus d’un cheveu à mesure que j’avance. Je n’en finis pas. J’ai rafraîchi peut-être trop, la lave ''et finirai par en faire une pierre'' ou ''un rubis'', nous verrons bien… . Dimanche soir, 24 novembre 1903. Longue et très intéressante lettre révélant la triste situation du peintre Armand Seguin, qui devait disparaître fin décembre 1903. Il informe O’Conor qu’il a reçu de Seguin, une bien triste épître , et dernièrement en lui écrivant, j’ai dû lui faire peur en parlant du Pouldu. Pouvais-je lui dire du bien des braves gens où je suis moi-même comme échoué et comme je serai bien planté à cette heure si le pauvre garçon était ici malade avec tout le train des toujours pareils misères qui l’accompagnent partout. Je n’ose y penser. Mais comment n’arrive t-il pas finalement à mettre un terme à sa déplorable ornière ? Je ne me crois pas en droit de le reprendre pour la bonne raison que l’étendue de ma charité est des plus limitée, et qu’autrement ça n’avancerait de rien… C’est fatal de croire à son propre génie quand les nécessités de l’existence vous commandent de faire autre chose, d’être pratique une heure dans l’attente de meilleurs jours. Il me parle des Franciscains, de leur peinture, il me conte les dévotions en pratiques de ses amis Sérusier, Denis, de Verkade, pensant sans doute me toucher par tant de belles intentions et c’est justement le contraire que je pense. Je vois d’ici le mysticisme et l’envolée radieuse du grand hollandais devenu moine [Jan Verkade devenu moine, subira l'emprise du peintre mystique Filiger à tel point que la peinture de Verkade s’en ressentira et qu'on pourrait presque imaginer qu'il copia Filiger. C’est lui, qui écrira à Seguin pour le mettre en garde de sa fréquentation avec Filiger, qui était homosexuel] de même que je ne me rends pas bien compte de l’influence du divin dans les œuvres de Denis et surtout chez le rouge ?…La régénération est affaire de corps l’âme reste identique comme par le passé. C’est tout ce que je sais en fait de théosophie et je ne cherche pas plus loin. Et pourquoi n’est-il pas demeuré chez ces bons franciscains du moment que la vie heureuse s’offrait à lui ? […] Si mon existence n’a rien de bien gaie, c’est affaire à moi seul et je ne dois pas me plaindre, ni m’en prendre aux autres de cet isolement ou de cet oubli où je vis volontairement. Ma raison est bien simple, je n’aime pas le monde et je l’aime encore trop pour y renoncer entièrement, et puis j’aime mon art par-dessus tout sans que ça paraisse et j’espère !... . Il lui annonce qu’il est arrivé à bout de son bon dieu, mais suivant l’habitude et qui m’est chère, ça n’est jamais fini assez, ni parfait en somme, et j’y reviendrai chaque jour en attendant de mettre en train une nouvelle machine qui me donnera moins de mal et prendra moins de temps . Il a demandé à [Remy de] Gourmont de ne pas publier une lettre de lui parlant de Gauguin, et s’imagine qu’il doit être regardé comme un frère ennemi par [Charles] Morice et autres… . Pouldu, dimanche, janvier 1904. Il a appris également la mort de Seguin notre pauvre camarade et pour comble de misère il ne m’a pas été possible d’aller là-bas . Il espère qu’un jour prochain, il pourra causer d’un tas de choses qui me tiennent à cœur , au sujet du malheureux disparu. Et ici je suis toujours seul et comme abandonné du monde, et je finis moi-même par avoir assez d’une telle existence ! J’ai peu travaillé ces jours-ci ? J’avais beaucoup à écrire, mais dès demain je vais reprendre mes pinceaux… .Pouldu, jeudi soir [janvier 1904] A propos des derniers moments et la mort d’Armand Seguin survenue le 31 décembre 1903. Cette mort m’a autant bouleversé que vous croyez le bien et je m’imaginais surtout que personne n’avait été autour du malheureux avant sa fin… Suivant sa dernière lettre fin novembre il m’écrivait le contraire de ce que vous me dites des braves gens de l’hôtel du Midi (est ce là qu’il est mort ?) il me contait qu’ils l’avaient prié de déménager à cause de ses quintes de toux qui dérangeaient les voyageurs dans leur sommeil et qu’il habitait maintenant ou alors une chambre pauvre sombre et froide et qu’à peine installé on venait de lui signifier la même chose et pour les mêmes raisons et il ajoute ''Que vais-je devenir, où aller ? Je ne tiens pas sur mes jambes'' Et naturellement de tout cela, j’ai auguré la fin la plus lamentable. Mais heureusement il n’a pas été seul de la sorte et je ne songeais pas du tout à Chamaillard - mais Chamaillard est bien l’homme qu’il leur faut et eux-mêmes gens habiles en toutes choses, ne peuvent-ils pas machiner de la copie à leur guise : la vérité n’est pas ici chose de rigueur. Par exemple ils tomberont mal s’ils s’adressent à moi, mais ils ne le feront pas. [Maurice] Denis me connaît bien et le rouge aussi et ils savent bien qu’avec moi on ne s’arrange pas comme on veut… . Il s’interroge sur la production de Seguin. Je ne vois absolument rien de marquant dans ce que Seguin a produit, mais peut-être n’ais-je pas tout vu ? Vous connaissez ses illustrations. Je n’ai rien vu jamais de mentalité curieuse plus que forte, il se plaisait à écrire et aurait pu réussir comme critique d’art en mettant plus de suite dans ses idées en murissant d’avantage - certaines de ses eaux-fortes sont bien (montrez moi donc quelques unes des vôtres), mais en tout ce que j’ai vu de lui (je ne le vois pas peintre du tout) il y a un je ne sais quoi ''qui manque'' c’est toujours hâtif comme si le temps lui avait manqué …et ne porte t-on pas en soi dès la naissance, le caractère de sa fin ? et c’est cela qu’on sent chez lui et qu’il a rendu sans le savoir...Et autre part ses terribles négligences de dessin sous prétexte de déformation, de symbolisme, ce caractère inachevé partout, tout cela était de présage d’une vitalité incertaine. Tout cela semblait dire que ses jours étaient comptés et que jamais il ne récolterait de fruits murs ! N’avez-vous pas senti cela en lui ? C’est l’impression que me fit toujours le pauvre garçon quand je vous disais il ne fera rien. Je me demande en effet de quelle manière on va l’arranger ? Mais le fameux Ch. Morice en saura bien sortir quelque chose ….le pauvre a payé d’avance. Il l’interroge au sujet de la parution dans l’Ermitage, de la lettre publiée quelque peu indiscrète et naïve du fameux ''capitaine'' Daniel de Monfreid au sujet de Gauguin ? Je garde la chose à votre intention. .Samedi soir, janvier 1904. Il semble mécontent de la visite d’O’Conor. Vous êtes admirable vraiment : vous venez me voir au Pouldu vous voyez mes peintures sans rien dire et vous voilà parti de retour.… Vous pourriez bien penser connaissant ma situation d’aujourd’hui que ce n’était pas pour le roi de Prusse que j’œuvrais et cette opiniâtreté au travail que je montre, n’est pas non plus signe de désarmement… Vous êtres vraiment timide ou alors vous agissez en prince. Reviendrez-vous ici sous peu ? Nous pourrions causer mais ça ne changerait rien à notre petit marché : je n’ose pas vous dire de faire à votre guise, vous m’enrichiriez du coup et je préfère la pauvreté qui m’invite à la tâche de tous les jours à l’or méchant du monde. Je ne serais pas trop exigeant en ne vous volant que 300 pour le terrible bon Dieu qui m’a bien fait suer les sueurs de son agonie et 50 pour le mignon Jésus qui a eu le don de vous émouvoir car petites choses sont d’un prix inestimables ou le seront un jour mais ce jour là nous serons dans le royaume des taupes vous et moi. Il est préférable de s’entendre pendant que nous sommes en vie …Et c’est le pain béni pour moi de n’avoir pas affaires aux mercantis, vrais marchands du Temple… . Il termine en lui demandant de l’éclairer sur ce qui a été dit sur Seguin, Sortez moi donc ce qu’il a écrit dans l’Occident à propos de Gauguin. Je n’ai su qu’une partie . Pouldu, Janvier 1904. Il préférerait revoir O’Conor plutôt que recevoir de l’argent, la question du cadre m’occupe et vous me direz aussi votre goût puisque je ne compte pas tout seul. Je puis me tromper … . Dimanche soir, février 1904. Il tarde de le voir et regrette qu’O’Conor ne prenne pas la décision de venir lui-même le voir au Pouldu. Le Pouldu est tout bouleversé depuis plus d’un mois. On construit derrière l’hôtel et la petite place du devant sert à tout le gâchis ordinaire en ces sortes de travaux. Vous voyez ça d’ici, J’ai bien pris le parti de me faire servir dans la maison où j’habite mais de la sorte je n’arrive à ne plus sortir du tout, et une telle existence n’a plus de raison d’être et le travail devient une vraie corvée et l’ennui vous tourmente. . Il réfléchit comment s’échapper de cet endroit, objet de son tourment, afin d’améliorer son moral. Il envisage une nouvelle tournée en Bretagne se référant au passé lors de ses précédents déplacements dans plusieurs villes de Bretagne. C’est même après ce petit voyage que j’ai cru bien faire de m’installer à Malansac pour barbouiller des poteries, mais Malansac n’a vraiment rien d’intéressant en dehors de sa poterie et aujourd’hui, je fais autre chose. J’ai aussi visité St Gildas de Rhuys cette année même, mais c’est d’abord fort éloigné de Vannes et le logement est difficile à trouver depuis que les bonnes sœurs n’y tiennent plus pension, car autrement c’est une des contrées les plus saines de la Bretagne… . Il aime Sarzeau et sa région et aimerait y vivre, Sarzeau est un assez grand bourg ou même une petite ville, et je crois qu’on y pourrait vivre en paix et de façon même plus modeste qu’au Pouldu [….] il est un fait certain que mon existence à l’hôtel du Pouldu ressemble vaguement à un renoncement aux choses les plus ordinaires de la vie et sans en souffrir absolument… . Dimanche soir, mars 1905. Très importante lettre. O’Conor lui a rendu visite et Filiger se préoccupe de son retour à Pont-Aven. Je ne suis qu’à moitié tranquille depuis votre dernière visite. Je me demande comment vous avez regagné Pont-Aven emportant les précieux colis ?... . Il a entreprit de réaliser une petite œuvre, dans le genre ''du Cheval de l’Apocalypse'' si vous avez souvenir. Remplacez le Cheval par deux Chiens de taille respectable et la Jérusalem céleste par le Jardin de Platon ou vulgairement un lamentable coin du Pouldu et vous aurez une idée de la grandeur de l’œuvre nouvelle dans ses dimensions de ''petit chef d’œuvre'', et cela ne vient pas du hasard. La Mort y joue aussi un rôle et y figure comme de juste. Une telle chose nait de l’aboutissement logique de toutes choses et c’est symboliquement la commémoration d’une vie, la mienne et la représentation synthétique d’une époque déterminée suivant les lois immuables du destin. . Il a changé d’idée concernant sa nouvelle résidence et en considérant que le pays de Vannes est bien écarté, surtout du coté de Sarzeau , il pense qu’en s’éloignant simplement dans la région, soit Noëlan, cela produirait le même effet qu’en allant au loin et sans but sérieux… . Il pense terminer la petite œuvre commémorative des jours anciens et peut-être sera-t-elle la dernière que le Pouldu m’aura inspirée pour servir de Mémoire ''aux Grands Jours de Bretagne''. J’ai les idées horriblement noires en travaillant et comme je vous l’ai dit il ya ''quelque chose d’en allé'' en moi. Et pourtant le triste pays demeure toujours le même tel autrefois… Et ce n’est pas la perte de quelque bonheur qui assombrit mes jours mais c’est bien le ''Passé mort'' et inoubliable qui m’apparaît et me crie l’inutilité et la vanité de tout recommencement ! Et c’est l’éternelle affirmation (ÔCarlyle !) ou toute contradiction se dissipe et qui conduit à la paix dernière. . En lui rédigeant cette lettre il reçoit une lettre ''de ce bon Schuffeneker'' comme l’appelait Gauguin, en des jours de reconnaissance sincère. Oui j’ai reçu une lettre de ce pauvre Schuff aujourd’hui malheureux et ces choses là sont pénible pour qui sait ce que le pauvre diable a fait de tout temps pour l’homme et l’artiste [au sujet de Gauguin] dont il a recueilli un si mauvais héritage…Mais faut-il jamais d’attendre à mieux quand la sottise et l’aveuglement vont jusqu’au sacrifice . Il lui fera parvenir cette lettre. Quoi répondre à cela ? Gauguin ne m’a jamais fait de grandes confidences à ce sujet. Il savait mon indifférence sur la question du sexe et le peu que j’ai su je l’ai appris par d’autres. Malgré cela je n’ai pu m’empêcher de traiter de tout cette vache de Bernard [Emile Bernard]. Ce fauteur sans honte de maintes disputes survenues entre nous au cours de ces dernières années et je crois ne m’être jamais trompé au sujet du personnage en ne répondant aucune fois, même à ses lettres les plus charmantes où pourtant le serpent me couvrait de fleurs… . Il lui demande de lui procurer chez le marchand de couleurs de Pont-Aven, du papier végétal ou papier à décalquer en lui recommandant de ne pas craindre de froisser la feuille en la repliant suivant le format d’une enveloppe ordinaire .Le Pouldu jeudi, 10 mars 1904. Il le remercie pour le papier demandé qu’il a bien reçu. Ici le temps est loin d’être aussi beau qu’à Pont-Aven, et c’est bien du froid que je souffre encore, et l’existence que je mène depuis plusieurs mois est contraire à tout hygiène, et comme vous le savez je me casse la tête depuis un bon moment pour savoir où j’irai dans la suite. Je regrette presque de vous avoir reparlé du cliché, mais je pensais que la chose vous serait facile à Pont-Aven où il y a toujours des amateurs. Je ne vois pas la nécessité de posséder le cliché une simple épreuve ou 2 sur papier salé, pour avoir un souvenir de la petite œuvre, si elle est destinée à passer la Manche quelques jours à venir… . Il espère que l’arrivée de Slevonski ne retardera pas sa venue au Pouldu.Kersellec Le Pouldu, Lundi soir, avril 1904. Il annonce à O’Conor qu’il s’est installé à Kersellec depuis une semaine, et je suis ici chez moi. J’ose donc espérer que vous ne tarderez pas à me faire visite sans vous gêner ou sans craindre de me gêner. J’ai pris cette détermination d’un jour à l’autre, j’avais tant peur de mal tomber ailleurs et pour une autre raison, j’ai cru bien faire de lâcher hôtel Portier qui m’était devenu trop cher sous tous les rapports… .On joint 2 lettres autographes signées de Françoise Lecadre, concernant Filiger. Elle et sa sœur tenait l’auberge à Rochefort-en-Terre, où de nombreux artistes y logeaient, et de manière à pouvoir s’acquitter de leur séjour, certains réalisaient des travaux de décoration dans ces lieux. Le peintre américain Alfred Klots, y séjourna dès 1903. 4 janvier 1902 et 3 janvier 1903. La première lettre, très intéressante, fait référence au séjour de Filiger dans l’auberge. Vous allez être bien étonné d’apprendre que le petit Filiger est à la maison depuis plus de trois mois, vous croyez peut-être qu’il a renoncé à boire. Ah mais non, c’est une habitude qui lui est trop chère pour qu’il y renonce jamais. Les premiers temps nous avions la naïveté de croire qu’il était corrigé, pas du tout, il se grise presque tous les jours et ce n’est jamais sa faute, c’est toujours la faute des croquants à qui il a payé à boire…. Dernièrement il était tellement ivre qu’en sortant de la prison il roulait sur la place comme un hérisson, il est rentré à la maison avec le nez tout écorché il voulait encore boire ma mère lui a refusé, il était furieux. Depuis dimanche il est sur le même bord il connaît tous les débits de Rochefort et des environs… Maman dit que s’il continue elle va le renvoyer au Pouldu. . Elle lui rappelle la triste nouvelle de la mort du peintre Grolleron (Paul Louis Narcisse, né en 1848, mort en octobre 1901, à Paris), qui était venu passer ses dernières vacances dans l’auberge, au milieu de nous allant tous les jours à la pêche et paraissant assez bien portant lorsque trois semaines après son départ, il a succombé à une obstruction intestinale . Elle poursuit en lui apprenant la venue de nouveaux pensionnaires, des norvégiens et parisiens . Dans la seconde lettre, elle apprend à O’Conor, la mort de sa mère et d’une des ses sœurs qui était pour elle, un ange de dénouement je l’aimais plus que moi-même aussi je souffre terriblement de cette cruelle séparation… . On joint également plusieurs lettres rédigées par Henri de Parcevaux, du musée de Vannes, relatives à un prêt d’œuvres de Roderic O’Conor et de Charles Filiger, œuvres appartenant à Mr Delestre, antiquaire, pour une exposition prévue à Vannes, de juin à septembre 1966 et pour un projet d’édition chez l’éditeur suisse, Pierre Cailler.
Estimation
2 000 € - 2 500 €
Vente terminée