Lot 32
Guillaume COURTOIS, dit LE BOURGUIGNON
Saint-Hippolyte, 1626 - 1679, Rome
Portrait de jeune femme
Huile sur toile
108 x 86 cm
Portrait of a young Lady
Oil on canvas
42 1/2 x 33 7/8 in.
Le portrait représente une jeune femme tournée vers le spectateur en train de jouer d'un petit orgue positif ; à l'arrière-plan, dans l'ombre, une loggia s’ouvre sur un paysage verdoyant. Le fait qu'il s'agisse sans aucun doute d'un portrait et non d'une sainte Cécile ou d'une allégorie de la musique est confirmé non seulement par l'absence de nimbe, mais aussi par les traits physionomiques accentués du sujet.
Dès la première lecture, l'œuvre se révèle particulièrement fascinante et d'une complexité intrigante, combinant habilement un travail des matières vénitien, d’habiles raccourcis et un réalisme expressif où l’on perçoit une influence nordique. Des références à Pierre de Cortone (1596-1669) se retrouvent également, ainsi qu'aux maîtres émiliens déjà actifs à Rome et qui ont été les précédents essentiels de Cortone et de la culture baroque. Parmi eux, Annibal Carrache (1560-1609) et Giovanni Lanfranco (1582-1647). Tous ces éléments mis en lumière nous amènent à situer l'œuvre dans le climat artistique romain de la première décennie des années 1650, tandis qu'une recherche plus approfondie et des comparaisons appropriées nous amènent à reconnaître, dans ce beau portrait, la main de Guillaume Courtois, dit Le Bourguignon.
Né dans le Doubs, alors comté de Bourgogne, Guillaume Courtois, plus fréquemment appelé Guglielmo Cortese, a vécu et travaillé toute sa vie à Rome où il est arrivé à l'âge de seize ans, en 1644. Avant son installation, il passe les premières années de sa vie à voyager dans diverses villes du Nord de l'Italie à la suite de son frère, le déjà célèbre Jacques Courtois (1621-1676), peintre de batailles.
Ici, après une première phase qui correspond à son séjour dans l’atelier de Cortone, aux influences historicistes du courant classique, au goût néo-vénitien de Pier Francesco Mola (1612-1666), ainsi qu'aux résultats raffinés auxquels parvient son presque contemporain et ami Carlo Maratta (1625-1713), Guillaume Courtois change profondément son style dans une direction baroque.
Ce tournant correspond au passage des années 1660, au moment où le Bernin le choisit comme principal décorateur de ses bâtiments. Les exemples ne manquent pas : Castel Gandolfo, Ariccia et surtout Rome, l’église Saint André du Quirinal étant un témoignage incontestable de son extraordinaire maturité.
L’importance de Guillaume Courtois sur la scène artistique romaine du troisième quart du XVIIe siècle a été d’abord développée par Pascoli1, puis dans une monographie pionnière de Salvagnini en 19372, et a été récemment réaffirmée par les études d’Erich Scheier3 et de Dieter Graf4 qui font aujourd’hui autorité.
Ces études laissent toutefois dans l'ombre la jeunesse de Courtois, c'est-à-dire la période qui précède immédiatement ou qui est contemporaine des fresques de la basilique Saint-Marc au Capitole, adjacente au Palazzo Venezia (décorations confiées au peintre par l'ambassadeur vénitien Nicolò Sagredo (1606-1676), ainsi que première commande "officielle" du maître Pierre de Cortone).
Cette période, qui ne manque pourtant pas d'intérêt pour comprendre l'évolution de notre artiste, fait l'objet d'un essai fondamental de Simonetta Prosperi Valenti Rodinò5, à qui l'on doit également un catalogue détaillé des nombreux dessins de Courtois, conservés au Gabinetto Nazionale delle Stampe de Rome6. Traitant de l'activité de jeunesse de l'artiste, Rodinò a souligné le rapport étroit et prépondérant de la commande des années 1650 avec les Pamphilj, famille du pape Innocent X (1574-1655).
En effet, entre 1651 et 1654, nous retrouvons Courtois à l'œuvre sur une frise dans la Sala dei Paesi7 du Palazzo Pamphilj, place Navonne8, probablement à la suite de Pierre de Cortone qui travaillait au décor de la galerie. Ensuite, vers 1654, il est au Palazzo Pamphilj à Nettuno9. Enfin, dans la seconde moitié de cette décennie, il travaille à la résidence d'été de Camillo Pamphilj (1622-1666) à Valmontone, au côté d'autres maîtres reconnus de l'époque comme Pier Francesco Mola (1612-1666), Francesco Cozza (1605-1682), Mattia Preti (1613-1699) et Gaspard Dughet (1615-1675).
Au Palazzo di Valmontone, Courtois peint le plafond de la Stanza dell'Acqua et travaille sur la Sala del Principe, ces deux chantiers apparaissant sans doute comme les plus intéressants et les plus complexes avant les années 166010. Là, le cadre architectural et décoratif, bien que rappelant le célèbre exemple d’Annibal Carrache à la Galerie Farnèse, est actualisé sur des modèles de composition plus dynamiques, comme ceux proposés par Giovanni Lanfranco (1582-1647) et Pierre de Cortone. Dans la chambre du prince, le motif des jeunes personnages regardant par-dessus la fausse balustrade rappelle même certaines idées de Véronèse (1528-1588) dans les chambres de Villa Barbaro à Maser.
Or c'est précisément dans ces figures d'enfants et de jeunes filles qu'il semble possible de reconnaître des affinités stylistiques et des références culturelles communes avec le Portrait d’une jeune femme, sujet de cette étude. Ce lien est également étayé par quelques dessins du Gabinetto Nazionale delle Stampe, publiés par Rodinò où l’on retrouve des feuilles qui sont probablement des croquis d'après nature de jeunes filles de la maison Pamphilj, apparemment utilisées pour les spectateurs du balcon de Valmontone. En particulier, dans une charmante Etude de jeune fille à mi-corps11, il serait presque possible de reconnaître les traits physionomiques de notre organiste.
Cette toile ferait donc partie de l'activité précoce de Courtois en tant que portraitiste, activité qui présente encore des zones d’ombre malgré les contributions citées de Schleier, Graf et Fagiolo, principalement portées sur des œuvres qui semblent plus ou moins touchées par la libre excitation picturale qui suit la conversion du Bernin.
Ce n'est que récemment que Francesco Petrucci a attiré l'attention des chercheurs sur certains portraits féminins datant clairement de sa première période, où l'extraordinaire calme formel est associé à un matériau "néo-vénitien" clair et serein. Ce sont des caractéristiques qui les relient sans aucun doute à notre peinture, comme le Portrait d'Olimpia Chigi Pannillini (Ariccia, Palazzo Chigi)12, le Portrait d'une jeune mariée avec éventail de la collection Koelliker13 ou le Portrait de Felice Renzi (l'épouse de l'artiste)14, aujourd'hui à la galerie Gasparrini à Rome15. Les décors des personnages sont semblables, tout comme les particularités de certains rapports chromatiques, l'attention toute nordique portée aux bijoux, les rubans et les dentelles qui fleurissent sur les vêtements, les coiffures (qui nous ramènent au milieu des années 165016) et les colliers de perles ; semblable, enfin, cette façon particulière de suspendre les mouvements de l'âme dans la limite subtile d'une sensualité aimable et réservée.
Il nous semble que notre Portrait d'une jeune femme (peut-être, comme nous l'avons vu, un membre de la famille Pamphilj) peut être considéré comme une expression exemplaire de la première période de Guillaume Courtois : dans une atmosphère chaude influencée par le travail de Cortone, se révèlent les tons de la gamme chromatique néo-vénitienne ainsi que des drapés travaillés, tandis que des similitudes avec Mola semblent suggérer un arrière-plan animé par le vent. De même, la petite figure ornementale qui embrasse les tuyaux de l'orgue avec un feston doré est certainement une référence, en miniature, aux télamons ou aux fresques en grisaille peintes par Courtois dans les palais Pamphilj de la place Navone ou de Valmontone. Enfin, notons une autre preuve de l'intérêt intense et bien connu du jeune Guillaume Courtois pour Lanfranco17, véritable peintre de transition qui fit autorité dans la mise à jour de la grande école bolonaise du début du XVIIe siècle, dans la composition même de notre tableau. Elle apparaît ainsi librement inspirée, verticalement, de la sainte Cécile de Lanfranco, aujourd'hui à la Bob Jones University de Greenville (USA), mais bien visible alors à Rome chez le collectionneur Natale Rondanini18.
Professeur Massimo Pirondini
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[1] L. Pascoli, Vite de’ pittori, scultori ed architetti moderni, Roma, 1730, pp. 149-154.
[2] A. Salvagnini, I pittori borgognoni Cortese e la loro casa in Piazza di Spagna, Roma, 1937.
[3] E. Schleier, Aggiunte a Guglielmo Cortese detto il Borgognone, in “Antichità Viva”, 1970, 1, pp. 3-25; idem, A propos du “Bon Samaritan” de G. Courtois, in “Revue du Louvre”, 1972, pp. 3-24.
[4] D. Graf, Christ in the house of Mary and Martha, in “Master Drawings”, 1972, pp. 356-360; idem, Guglielmo Cortese’s paintings of the Assumption of the Virgin, in “The Burlington Magazine”, 1973, pp. 24-31; Guglielmo Cortese, in Pietro da Cortona, catalogo della mostra (a cura di A. Lo Bianco), Roma, ott. 1997-febbr. 1998, Milano, 1997, pp. 223-228. D. Graf in collaborazione con E. Schleier: Guglielmo Cortese und Abraham Bruegel, in “Pantheon”, 1973, pp. 46-57; Some unknown works by Guglielmo Cortese, in “The Burlington Magazine”, 1973, pp. 794-801.
[5] S. Prosperi Valenti Rodinò, L’attività Giovanile di Guglielmo Cortese per i Pamphilj, in “Paragone”, n. 321, 1976, pp. 28-46. Ma ricordiamo anche i più recenti apporti documentari di L. Russo, Notizie su Guglielmo Cortese e la famiglia Pamphilj, in Innocenzo X Pamphilj. Arte e potere a Roma nell’Età Barocca, Roma, 1999, pp. 193-
[6] S. Prosperi Valenti Rodinò, Disegni di Guglielmo Cortese (Guillaume Courtois) detto il Borgognone nelle collezioni del Gabinetto Nazionale delle Stampe. Roma, 1979.
[7] Ici, les paysages sont de Gaspard Dughet.
[8] Aujourd'hui Ambassade du Brésil à Rome.
[9] M. Fagiolo dell’Arco, Pietro da Cortona e i “cortoneschi”, Milano, 2001, p. 136.
[10] Il y eut des paiements à Cortese entre septembre 1658 et janvier 1659 (L. Montalto, Gli affreschi del Palazzo Pamphilj in Valmontone in "Commentari", 1955, pp. 267-302 ; Prosperi Valenti Rodinò, 1976, pp. 30-31).
[11] Sanguine sur papier blanc, 93 x 96,5, Rome, Gabinetto Nazionale delle stampe, inv. F.C. 126999 (Prosperi Valenti Rodinò, 1976, pp. 40-41, tableau 67 ; eadem, 1979, no. 23, tableau 22).
[12] Francesco Petrucci, Le stanze del Cardinale, Ariccia Palazzo Chigi, Rome, 2003, p. 76, n. 22; idem, Pittura di Ritratto a Roma, il Seicento, Roma, 2007, III, tableau 129.
[13] “F. Petrucci in Mola e il suo tempo. Pittura di figura a Roma dalla Collezione Koelliker”, catalogue d'exposition (sous la direction de F. Petrucci), Ariccia, Palazzo Chigi, 22 janvier-23 avril 2005 ; Milan, 2005, pp. 184-185.
[14] Rome, collection particulière.
[15] Ibidem, p. 184, tav. 2; F. Petrucci, Pittura di ritratto a Roma, il Seicento, III, Roma, 2008, pp. 109, 529,532, tableau 132.
[16] Comme l'a déjà souligné Petrucci (2005, p. 184).
[17] Au sujet des copies de Lanfranco par Courtois, voir Schleier, 1970, p. 7 ; voir aussi les dessins de Courtois d'après des œuvres de l'artiste parmesan, conservés à Rome (Prosperi Valenti Rodinò, 1979) et à Dusseldorf. (D. Graf, Die Handzeichnungen von Guglielmo Cortese und Giovanni Battista Gaulli, Katalogue des Kunstmuseum Dusseldorf, Dusseldorf, 1976).
[18] E. Schleier, in Giovanni Lanfranco. Un pittore barocco tra Parma, Roma e Napoli, catalogue de l’exposition, Parme, Naple et Rome, 2001-2002 ; Milan, 2001, pp. 218-219.