Lot 58
Nicolas OZANNE
Brest, 1728 - 1811, Paris
Le Bassin du Havre ;
Le Port du Havre
Plume, encre grise, aquarelle, mine de plomb
Monogrammés en bas vers la droite n o (chaque)
44 x 66 cm (chaque)
The Basin of Le Havre ;
The Port of Le Havre
Pen, black ink, watercolor and black chalk
Monogrammed lower right (both)
17 5/16 x 26 in. (each)
PROVENANCE
Chacun porte en bas à gauche le cachet de la collection Paul Menso (L. 4347) ; Collection particulière (France).
Né à Brest un 12 janvier 1728, Nicolas est le fils d’Adrien Ozanne (1697-1744), cuisinier embarqué de Monsieur de Roquefeuil, capitaine de vaisseau. Il est également le frère de Pierre Ozanne (1737-1813), ingénieur, dessinateur et graveur. S’il ne semblait pas prédestiné à une carrière artistique, c’est au bord de la Penfeld, sur les quais de Recouvrance que le jeune garçon commence pourtant son apprentissage à l’âge de dix ans auprès d’un certain Roblin (av. 1738-1750), recensé Maître de Dessin des Gardes de la Marine à Brest. Remarqué pour ses talents de dessinateur, il devient l’adjoint de son professeur à peine quatre ans plus tard et suscite l’intérêt de l’intendant de Marine Bigot de Morogues (1706-1781).
Place forte de la Marine royale, Brest s’était imposée comme l’une des villes côtières les plus stratégiques du royaume. Si la France ne s’était dotée que tardivement d’une armada véritablement puissante et autonome, elle lui permit de connaître un essor considérable entre les XVIIe et XVIIIe siècles. Outre la Marine de guerre, celle que l’on surnommait alors la « Versailles des mers » devint un lieu d’émulation active pour la communauté scientifique tournée vers la mer et son étude. Observateur fin et attentif, artiste doué, Bigot de Morogues charge Ozanne de relevés sur les défenses côtières. Peu de temps après, il se lie d’amitié avec Duhamel de Monceau (1700-1782) qui le recommande à Paris et Versailles. En 1749, il est appelé par Antoine Louis Rouillé de Jouy (1689-1761), ministre de la Marine pour dessiner des vues du Havre à l’occasion de la venue de Louis XV (1710-1774) dans la cité. En 1754, il arrive à Paris et étudie auprès de Natoire (1700-1777), Boucher (1703-1770) et Ingram (1721-1772) ; l’année suivante, il part à Toulon et étudie auprès de Joseph Vernet (1714-1789), maître qui l’influencera durablement. En 1762, il est nommé au bureau des ingénieurs géographes de guerre, tout en continuant de fréquenter Versailles et son environnement. La consécration vient peut-être en 1769 lorsqu’il est chargé d’enseigner au Dauphin (1754-1793) et à ses frères les « sciences de la mer ». Professeur passionné et impliqué, il fait même mettre à l’eau une flottille sur les étangs du château pour illustrer son enseignement.
Resté proche de Louis XVI, il reçoit en 1775 la commande d’une série de représentations dessinées des plans et ports de France, à l’instar de ce que Vernet avait exécuté en peinture. L’ensemble est gravé par Yves-Marie Le Gouaz (1742-1816), élève et beau-frère d’Ozanne et publié sous le nom Nouvelles vues perspectives des Ports de France dessinées pour le Roi. Par M. Ozanne, Ingénieur de la Marine.
C’est à cette commande que nos deux vues du Havre doivent se rattacher. A la vérité topographique, Ozanne allie un souci d’esthétisme et de pittoresque. D’un côté, l’artiste présente une vue du port depuis la citadelle sur le Bastion du roi ; de l’autre, le Bassin vu du bureau des Constructions. Minutieux, navires et architectures sont tels qu’ils devaient être et pour cause, Ozanne avait illustré en 1752 le traité Eléments d’architecture navale. Rédigé par Duhamel de Monceau, celui-ci avait cherché à définir et fixer des normes de construction navale destinées aux ingénieurs et architectes contemporains.
Devant ces vues, les yeux vagabondent et non sans satisfaction, les plus initiés penseront radoub, calfatage, bordés, étoupes, gabiers, gréements et haubans. Parmi l’ensemble des protagonistes, gens de mer, ouvriers, ingénieurs, architectes œuvrent à la poursuite des divers chantiers. A son souci documentaire, Ozanne mêle un goût certain pour l’anecdote, ne résumant pas ses compositions à une infinité de termes techniques et propres au langage marin. Le dessinateur joint à la restitution quasi scientifique des lieux, celle d’un ballet grouillant de vie qui fourmille sur les quais. Entre conversation galantes, enfants chamailleurs et animaux bagarreurs, c’est l’esprit d’une ville qu’il a saisi et partage. Enfin, en humanisant ce qui n’aurait pu être qu’un relevé à dessein d’informer, Ozanne partage finalement avec le roi les jours ordinaires de ses sujets havrais qu’il fige dans le siècle.